Nous sommes de retour au bercail. Pas notre bercail personnel, non, nous parlons de celui de la Civilisation, avec ses pyramides et ses pharaons à barbiche. Problème : nous avons bien trop mangé à Istanbul et craignons l’hydrocution en plongeant tête la première dans le tourbillon de l’Histoire. Nous préférons nous humidifier un peu la nuque dans les eaux encore tièdes de la Mer Rouge. Notre première étape en Égypte est ainsi une petite station balnéaire qui porte le nom de Dahab.
Mais avant de faire plouf, il a fallu faire plouf-plouf-la-station-balnéaire-la-moins-bétonnée-ce-sera-toi. Dahab a gagné, car l’ancien village de pêcheurs bédouins a longtemps résisté aux sirènes du tourisme all-inclusive, préférant la contre-culture hippie. Des hôtels ont fini par pousser, mais à échelle réduite parce qu’un frein demeurait : la péninsule du Sinaï était jusque récemment toute entière déconseillée aux voyageurs.
L’assouplissement des recommandations dans le Sud Sinaï n’a pas encore atteint les pages de tous les guides de voyage, c’est le moment d’en profiter peinard. Et cela permet au passage d’aller grimper sur le Mont Sinaï.
Dahab, un peu hippie sur les bords (de la Mer Rouge)
Nos premiers pas à Dahab confirment que nous sommes bien dans une station balnéaire. Il y a le ciel, le soleil et la mer, mais aussi les palmiers, les boutiques qui débordent de coquillages, paréos ou bébés pyramides et un front de mer qui aligne cafés et restaurants.
Cependant, le béton a su rester discret et le bling-bling brille par son absence. Les ruelles sont fouillis, les terrasses tapissées de coussins défraîchis, les toiles bédouines ondulent au vent et des chiens roupillent à l’ombre. Bref, Dahab est restée relax à tous les niveaux.
Cela se ressent au niveau touristique, avec les Allemands, Russes et autres Européens habillés bohème pour siroter des cocktails et gober des pancakes nutella-fraise, ou les Égyptiens venus en bande pour fumer la shisha et manger des kosharis. (Bon plan : les restaurants qui visent les Égyptiens sont quatre fois moins chers.)
Le tableau de Dahab ne serait pas complet sans parler du demi-cercle de montagnes rouges qui l’entourent. Et lorsqu’elles plongent dans la mer, c’est pour mieux resurgir vingt-cinq kilomètres en face, côté saoudien.
Dahab, paradis du snorkeling
Hormis Moïse, les voyageurs qui affluent vers la Mer Rouge n’ont qu’une idée en tête : la baignade. La température de l’eau oscille entre 21°C l’hiver et 29°C l’été, ce qui plaît autant aux popotins humains qu’aux poissons exotiques. Et là où Dahab est formi-Dahab-ble, c’est que le récif corallien a posé ses valises à trois pas de la côte. Oubliez les excursions en bateau, trouvez juste un masque et sautez dans l’aquarium géant.
Pour la mise à l’eau, nous adorons en particulier cette mini plage, coincée entre deux restaurants. Le fond sableux évite de se blesser sur les roches coupantes et la falaise corallienne qui s’enfonce sur la gauche est à couper le souffle. En revanche, nous sommes loin d’être seuls, entre les snorkeleurs et les plongeurs qui nous chatouillent de leurs jacuzzis de bulles.
Pour plus de tranquillité et d’espace, la plage située sous le pont piéton est une bonne alternative. Le récif est moins impressionnant, mais nous y croisons des espèces qui fuient elles aussi la foule. C’est la première fois, par exemple, que nous voyons passer l’effrayante crinière du poisson-lion.
Nous ne pratiquons pas la plongée avec bouteille, mais Dahab semble contenter tous ses pratiquants, du débutant qui profitera des nombreux clubs d’initiation, à l’expert qui s’engouffrera dans le Blue Hole, alias « la cathédrale sous la mer ».
Balade au nord de Dahab et vue panoramique
Laissez-nous sauter du coquillage à l’anémone, retournons sur la terre ferme. Afin d’augmenter notre périmètre de flânerie, nous louons deux vélos et longeons l’eau jusqu’à la pointe nord du village. Plus nous pédalons, plus les restaurants et hôtels se clairsèment et plus les montagnes rougissent.
S’il y en a une qui n’est pas du tout rouge en revanche, c’est bien la Mer Rouge. Elle ne fait qu’inventer de nouvelles nuances de turquoise, selon la profondeur et la présence de coraux.
Nous partageons la tranquillité de ce morceau de côte avec d’autres cyclistes, mais aussi avec des bambins égyptiens experts en attrapage de poissons à la main, des vieilles guimbardes et même un troupeau de moutons.
Arrivés au pied de la montagne, nous accrochons nos vélos dans un chantier abandonné, faisons abstraction des vieux plastiques oubliés et grimpons à ce point de vue. L’occasion de découvrir Dahab d’en haut et d’admirer son bel abdomen de corail.
Vélo jusqu’à la lagune de Dahab
Une sieste plus tard, nous orientons nos guidons vers le sud de Dahab, où des hôtels de plus en plus larges sont sortis ou projettent de sortir du désert. Nous nous demandons d’ailleurs quel miracle remplit leurs piscines. Ces bêtises cessent à l’approche de la lagune, une étendue d’eau peu profonde protégée par une bande de sable, qui réjouit les kitesurfeurs les jours venteux.
Quant aux plages dorées de la bande de sable, elles font le bonheur de dizaines de familles ou groupes d’amis égyptiens au coffre rempli de victuailles et de musique, en particulier le week-end (du jeudi soir au samedi en Égypte). Le tout s’agite dans une ambiance bon enfant et presque sans touristes étrangers.
Nous enfilons les maillots et passons à l’eau. Côté lagune, elle est chaude et peu profonde, idéale pour les enfants ou pour barboter en ayant coude. Côté mer, nous tentons un peu de snorkeling. Les fonds sont nettement moins spectaculaires que ceux du centre-village, mais en cherchant bien, nous tombons sur deux rochers garnis. Vraiment seuls, nous prenons le temps d’en observer chaque recoin. De nouveaux poissons-lions rugissent présents et nous apercevons le sketch d’un duo poissons-clowns maquillés jaune et noir sous une perruque anémone.
Les Égyptiens continuent d’affluer à l’approche du coucher de soleil, des guitares mélodinent sur de vieux tapis, des barbecues crépitent et quelque autoradios montent le volume. Nous devinons que la soirée sera festive !
Ascension nocturne du Mont Sinaï
Un autre coin du Sud Sinaï nous faisait de l’œil : le Mont Sinaï. Pour ceux qui auraient raté la comédie musicale des Dix Commandements tirée d’un vieux bouquin, c’est sur cette montagne que le héros grimpe chercher des tables. Ikea ne livrait pas encore à l’époque.
De nos jours, des excursions nocturnes sont organisées depuis Dahab et visent le lever de soleil au sommet, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Nous partons vers 22h30 à bord d’un van qui franchit plusieurs barrages de l’armée. Un guide récupère notre petit groupe à 1h30 sur le parking du monastère Sainte-Catherine à 1570m d’altitude, et nous entamons la montée sur ses talons.
Tito est bédouin de la tribu Gebeliya, missionnée il y a quinze siècles par un empereur romain pour protéger le monastère. Il impose son rythme et ses règles que nous ne comprenons pas toujours bien, à part qu’il nous arrête dans chaque café de bric et de broc qui passe. Une dizaine, rien que ça.
Malgré les pauses, notre groupe termine premier vers 4h45, pour un lever de soleil une heure plus tard. Au lieu de nous mener au sommet, le guide insiste pour nous entasser dans un vieux café abrité. Nous insistons plus fort et ressortons seuls pour ne perdre aucune minute de… nuit noire en fait. Ou presque, la lune trahit un mystérieux relief.
Ce sommet à 2 285m est réputé frigorifique, voire congélistique en hiver, mais la chance est avec nous. Le ressenti affiche un doux 5°C que nous supportons avec deux pulls, un coupe-vent et un bonnet. Les prévisions météo vous consulterez. Au pire, une vieille couverture vous louerez.
Nous assistons alors à une splendide progression des lueurs et des couleurs, en compagnie d’une église, d’une petite mosquée et de collègues randonneurs qui nous rejoignent progressivement.
Celui que tout le monde attend déboule en dernier, majestueux, réchauffant nos petits cœurs et dévoilant 360° de splendeurs minérales.
Au retour, nous redécouvrons le parcours sous un autre jour. Tito se montre soudain bien souple, donnant un simple rendez-vous tout en bas, à l’ouverture des portes du monastère Sainte-Catherine à 8h45.
Des pans entiers de l’Histoire s’entrechoquent entre les quatre murs de son enceinte fortifiée : doyen des monastères chrétiens en activité, il aurait été édifié par l’empereur Justinien, soutenu par Charlemagne, épargné sur ordre de Mahomet et réparé par Napoléon, entre autres rebondissements.
Il s’organise autour d’une grosse touffe coupée au bol, que l’impératrice Hélène désigna comme le buisson ardent de la Bible. Cela lui conférerait l’âge invraisemblable de 3300 ans. Mais après tout, il s’agit d’un mûrier sauvage européen, vous savez, ces ronces increvables qui survivent à la débroussailleuse.
Le monastère est géré par un gang de moines grecs formés à Athènes, qui veillent sur de jolis espaces ombragés, des chapelles, des jardins et la deuxième plus grosse collection de manuscrits anciens du monde. Il est possible de s’essayer au déchiffrage de quelques spécimens dans un mini musée pour 2$. Le reste mériterait des explications, nous restons sur notre faim.
À 12h30, nous sommes de retour à Dahab pour une sieste méritée. Au global, nous recommandons fortement cette excursion, mais davantage pour l’aventure et les paysages que pour la spiritualité des lieux, car nous avons ressenti principalement…
… les crottins de chameaux !
Notre avis sur Dahab
Nous gardons un souvenir émerveillé de nos cinq jours à Dahab. D’abord pour ses paysages sous-marins foisonnants qui s’admirent directement depuis la plage, quel luxe ! Mais aussi pour ses paysages rouges étonnants dès que nous tombions le masque ou au sommet d’une montagne sacrée. En revanche, ne comptez pas trop découvrir la culture égyptienne, enfouie sous une bonne louche de détente tropicale.
Pas de panique, l’ambiance égyptienne nous rattrapera sur notre étape suivante. Nous quittons Dahab dans un minibus de nuit, direction Alexandrie !
Conseils pratiques pour visiter Dahab et le Mont Sinaï
Arriver à Dahab
Depuis la Turquie, nous sommes arrivés via l’aéroport de Charm el-Cheikh. Un bus ni fréquent ni pratique relie Charm el-Cheikh à Dahab, nous avons préféré accepter le taxi proposé par notre hôtel (35€ pour 1h10 de route) et avons trouvé un voyageur avec qui partager les frais.
Repartir de Dahab
Certains prennent un vol interne vers Le Caire, mais nous n’envisageons pas l’avion lorsqu’il existe des alternatives correctes, en l’occurrence les bus de nuit de la compagnie Gobus. Le nôtre vers Alexandrie ayant été annulé, nous nous sommes rabattus sur l’une des trois ou quatre compagnies de minibus (Everyday Bus) en payant directement à leur guichet à Dahab. Départ 23h, prix environ 12€, puis changement au Caire.
La péninsule du Sinaï est spéciale, peu habitée et pleine de checkpoints, mais comme le chauffeur récupère tous les passeports en début de trajet, nous avons à peu près pu dormir. On nous a seulement demandé de descendre avant le tunnel sous le canal de Suez et un chien a reniflé nos bagages.
Dormir à Dahab
Nous avons posé nos sacs chez White Flat Studios (~26€)i, seule adresse de notre voyage en Égypte que nous déconseillons, avec de trop nombreux défauts. Nous nous sommes mordu les doigts de ne pas avoir investi un peu plus pour nous sentir vraiment au paradis. Par exemple chez Al Deirai ou, pour ceux qui aiment voir grand, au Club Red Dahabi.
Manger à Dahab
Nous avons plusieurs adresses à vous recommander :
- Notre préférée, où nous nous sommes régalés trois fois, est le restaurant indien Jeera. Nous avons aimé notamment leurs petits pains paratha nature, les différents curries et le chai. N’y allez juste pas trop tôt, ils sont obligés de réveiller le cuisinier pas très matinal !
- Le petit resto thaï Lemongrass est très bon, mais attention, épicé.
- Prisé des nomades qui s’y installent avec leurs ordinateurs, Schoenemanns est une bulle climatisée tenue par des Allemands, si jamais vous êtes en manque de saveurs occidentales. Pas mal notamment pour un petit-déjeuner salé ou sucré.
- À l’inverse, Yum Yum est une cantine égyptienne vraiment pas chère (4€ pour 2) et végétarienne, testée sur les conseils des blogueurs Casquette et Baskets. Aucun risque de se sentir en occident, d’ailleurs il n’y a même pas de fourchettes !
Se baigner et observer les poissons
Dahab est entouré de coraux. C’est idéal, mais attention, ne marchez surtout pas n’importe où, à l’aveugle. Vous pouvez trébucher sur des coraux tranchants. Comme expliqué plus haut, les meilleurs spots de snorkeling depuis le centre de Dahab sont la petite plage sous le pont et surtout le récif de corail un peu plus au nord.
Pour ce dernier, il est pratique de commander à boire au café du Lighthouse, d’y laisser ses affaires (rien de valeur, on ne sait jamais) et de traverser la rue pour descendre via la mini plage. Évitez le restaurant Bedouin Sons en face, antipathique et arnaqueur.
Côté équipement, nous avions nos propres masques et tubas et il existe des loueurs ou vendeurs sur place. Ayez également des chaussons d’eau ou sandales à semelles épaisses pour ne pas vous blesser sur le corail et réduire le (rare) risque de piqûre d’un poisson-pierre. En parlant de poisson venimeux, restez aussi à l’écart du poisson-lion, sa piqûre est réputée violente.
Quant à la tenue, il est possible de se baigner en maillot deux pièces à Dahab sans choquer. Tout comme les shorts et débardeurs sont largement tolérés pour se promener, contrairement au reste de l’Égypte.
Louer des vélos
Plusieurs boutiques de location semblent équivalentes. Nous avons choisi Planet Bikers, qui nous a demandé 3€ pour 6h de pédalage, antivol inclus. L’état des vélos était moyen mais suffisant. Niveau sécurité routière, c’est comme pour le reste, Dahab est très relax.
Excursion sur le Mont Sinaï
Un guide est obligatoire pour grimper au sommet, même s’il est peu utile et ne fournit aucune explication. Le fameux « escalier de la pénitence » de 3750 marches n’est emprunté que sur les 750 dernières. Tous les groupes passent par le sentier des chameaux, moins raide et plus stable.
Plusieurs agences proposent l’excursion depuis Dahab. Nous avons réservé auprès de King Safari Dahab (qui possède deux bureaux dont un près du pont), car ils nous ont semblé plus pro que les autres agences approchées. Certaines donnaient des prix farfelus, d’autres ne savaient pas expliquer le détail de l’excursion. Nous avons payé 30$ par personne pour le transport, la randonnée et un moment pour visiter le monastère (gratuit). C’est une grosse expédition de 14 heures, mais qui vaut le coup.
Enfin, vérifiez les jours d’ouverture du monastère et prévoyez un jour de marge en cas de mauvaise météo. Il suffit de trois gouttes pour qu’ils annulent, cela nous est arrivé.
La sécurité dans la péninsule du Sinaï : est-ce dangereux ?
Comme Dahabitude, nous vous conseillons de vérifier les consignes récentes du Ministère des Affaires étrangères. En gros, la moitié sud du Sinaï en jaune sur la carte présente très peu de risque. L’État égyptien a bien compris l’intérêt touristique de la zone et ne plaisante pas pour assurer sa sécurité, avec énormément de checkpoints militaires.
Concernant la proximité avec Gaza, nous avions réservé notre séjour avant que le conflit ne reprenne de l’ampleur en octobre 2023. Nous nous sommes alors beaucoup demandé s’il était raisonnable et décent de maintenir notre voyage. Sur place, nous avons surtout constaté l’effet sur le tourisme, avec énormément de réservations annulées et les grosses difficultés économiques que cela induisait. Bref, si vous venez, dites-vous que vous aiderez quelques Égyptiens reconnaissants.
Retirer de l’argent à Dahab
Attention, beaucoup d’ATM prennent des frais exorbitants. En particulier le Crédit Agricole (oui oui, la banque française), qui a installé ses appareils partout et ajoute aux étrangers 13% de frais ! En cherchant bien, nous avons trouvé des banques qui en prenaient zéro.
Bonjour les escargots baroudeurs !
Merci pour ce condensé et j’adore votre humour !
Je m’envole mi janvier pour charm et dahab. J’espère qu’entre temps la ville est restée dans son jus Baba.
Avant partie sud ouest à partir de Louxor
Bien à vous
Salut Myriam,
Merci pour le surnom qui nous plaît bien !
On a peu de doutes sur la babattitude de Dahab et nos articles sur le sud-ouest de l’Égypte arrivent bientôt.
Bon voyage d’avance !