Après Gjirokastër et Përmet et avant de remonter vers le nord, notre boucle dans le sud de l’Albanie joue les prolongations avec deux nouvelles villes dont les noms n’évoquent rien d’autre que l’Europe centrale profonde : Korçë et Pogradec. Nous venons intentionnellement nous perdre dans quelques-uns des innombrables plis et replis que forment les montagnes des Balkans, non loin des frontières macédonienne et grecque.
En chemin, le chauffeur de fourgon (bus local) s’arrête au milieu de nulle part pour avaler son café du matin. Sur la place d’un village de vingt maisons… c’est une chanson de Maître Gims qui s’échappe des haut-parleurs. Allez comprendre !
Korçë, le petit Paris (il paraît !)
Korçë est une ville qui s’agite, du moins à son échelle. Le fourgon nous débarque en plein centre et nous voilà immédiatement pris dans un tourbillon de passants, poussettes, vélos. Une vendeuse de paniers en osier, chargée jusqu’aux oreilles, nous propose un bon prix. Nous la remercions et suivons un large boulevard couvert de verdure, avant de nous enfoncer dans les minuscules ruelles de notre quartier d’adoption.
Finalement, nous passerons notre temps à alterner entre grandes avenues rectilignes et rues pavées typiques, comme si la ville hésitait entre deux styles, deux époques.
Côté moderne, le Bulevardi Shën Gjergji, piéton de bout en bout, réjouit les amateurs de terrasses qui sommeillent en nous. Un étrange bâtiment jaune surnommé la maison roumaine nous attire l’œil. Prévenez-nous si la Roumanie ressemble vraiment à cela, nous rappliquons.
Si Korçë est affublée du sobriquet le « petit Paris d’Albanie », ce n’est pas du côté architectural qu’il faut chercher. Les deux villes n’ont à peu près rien en commun, pas même une petite Tour Eiffel dans un coin. La raison de ce surnom remonterait à la Première Guerre mondiale, durant laquelle un régiment français se serait implanté ici quelques années et aurait pris soin de fonder une mini république bilingue éphémère.
Mais reprenons notre balade. À l’une des extrémités de ce boulevard s’impose la cathédrale de Korçë, qui paraît presque neuve. C’est le cas, elle fut reconstruite il y a vingt-huit ans, dès que la dictature communiste disparut aux oubliettes et que les religions reprirent leur droit d’exister.
L’intérieur est surprenant. Sous d’énormes lustres dorés, des centaines de saintes et de saints hauts en couleur nous observent, l’air grave et les yeux débordant de sagesse.
Le coup de pinceau est moderne, tout en reprenant le style millénaire des mosaïques orthodoxes.
De l’autre côté du boulevard piéton, une tour appelée Red Tower nous toise. Pas une tour d’immeuble, pas une tour de château ni un monument, non, juste un escalier doté d’un look incongru et d’un point de vue au sommet.
En tant que touristes bien élevés, nous nous sentons dans l’obligation de grimper sur ce mirador conçu rien que pour nous (50 leks par personne). L’occasion de vérifier que la ville est vaste et que les montagnes nous entourent, comme finalement partout en Albanie.
Retour ensuite dans un quartier plus ancien : le Old Bazaar. De la même manière qu’à Gjirokastër, le vieux bazar typique vient d’être rénové de fond en comble et, à défaut de ressembler à un petit Paris, nous fait penser à un petit Disneyland. Le fait que les États-Unis aient contribué financièrement aux travaux de rénovation n’y est peut-être pas étranger.
Ce qui est un peu triste, c’est qu’en dehors de la place ci-dessus, animée et garnie de terrasses, les ruelles alignent des boutiques aux volets clos. Les anciens artisans expropriés n’ont pas les moyens de s’offrir le nouveau loyer.
À quelques mètres se trouve la jolie mosquée Mirahori, qui a eu plus de chance que la cathédrale face au tsunami communiste. Seul le minaret est tombé, redressé depuis. D’ailleurs, celui-ci entonne un appel à la prière à notre approche, qui rameute quelques fidèles.
Nous nous faufilons ensuite dans le parc Vangjush Mio, à l’ombre duquel nous approchons les joueurs de dominos. L’un d’eux s’enquiert : « Connaissez-vous ce jeu en France ? Oui ? Ouf ! L’autre jour, des Anglais le découvraient ! ».
Et puis, comme toutes les autres villes albanaises, Korçë possède une seconde orthographe dont elle peut être fière : Korça. Il s’agit ni plus ni moins de la plus célèbre des bières nationales et nous décidons d’aller jeter un coup d’œil (et de langue) à sa brasserie.
Attirés par l’immense terrasse façon « Biergarten » qui l’entoure, nous nous y installons pour déguster une pression à prix imbattable (70 leks la chope de 400ml) accompagnée de quelques snacks.
Nous ignorons que, tandis que nous lapons notre mousse, la brasserie accueille ses derniers visiteurs de la journée. Nous nous prenons un peu plus tard la porte dans le nez.
Nous nous rabattons sur le musée national d’art médiéval tout proche (prix d’entrée 700 leks), moins enivrant mais qui s’avère intéressant, bien plus que ce que son nom ne pourrait laisser croire. Ses murs débordent d’icônes orthodoxes peintes sur bois, aux couleurs éclatantes et aux détails ultra précis.
Nous découvrons au passage que certains peintres exposés sont des stars, tel Onufri, le Michelangelo albanais. En revanche, pardonnez le blasphème, mais les représentations des personnages religieux ne sont vraiment pas flatteuses. Les vieillards ont des fesses sur le front, la Vierge a des paupières de matin difficile et l’enfant qu’elle porte possède une ressemblance troublante avec… Eric Zemmour !
Bref, nous recommandons vivement ce musée, mis en valeur par une architecture intérieure et extérieure audacieuse et des couleurs perçantes.
Pour conclure cette visite de Korçë, nous grimpons sur la colline du cimetière des martyrs, qui rend hommage aux combattants des deux grandes guerres. Au point le plus haut, la statue d’un soldat contemple la ville et les paysages alentours. Nous l’imitons sans nous faire prier.
Notre avis sur Korçë
Même si la ville au nom de bière possède quelques aspects sympathiques, Korçë ne fait pas partie de nos étapes préférées en Albanie. Nous ne l’avons trouvée ni mignonne comme Berat ou Gjirokastër, ni énergique comme Tirana. Toujours est-il que Korçë est en Albanie et que l’Albanie nous met forcément de bonne humeur, grâce aux bonnes ondes dans l’air, probablement !
Autre avantage non négligeable : la région est plus fraîche qu’ailleurs dans le pays. En plein été, cela repose ! En résumé, Korçë peut constituer une étape agréable si vous êtes dans le coin, mais ne mérite pas non plus un grand détour. Ou alors pour assister à la fête de la bière au mois d’août.
Conseils pratiques pour visiter Korçë
Transports entre Përmet et Korçë
Nous avons emprunté l’unique bus journalier qui effectue cette liaison. Il part d’ici à 7h du matin, dure 4h30 et coûte 800 leks.
Dormir à Korçë
La ville compte beaucoup moins de petites guesthouses qu’ailleurs en Albanie. Nous avons choisi un hôtel appelé Vila Mano (~40€, réservation ici)i installé dans une grande et belle maison rénovée. Notre conseil : évitez les chambres les moins chères car elles sont sombres et pas folichonnes. Le buffet du petit déjeuner, lui, est irréprochable.
Manger à Korçë
Plusieurs restaurants de qualité moyenne se partagent la place refaite du vieux bazar. Notre préféré, un peu à l’écart du centre de Korçë, s’appelle Vila Cofiel. Si l’ambiance est un peu guindée, avec des tentures aux murs certainement héritées de l’arrière-arrière-grand-mère, les plats sont plus travaillés qu’ailleurs. En prime, les hôtes offrent double ration de raki, en début et en fin de repas. Dur !
Pogradec, ou le lac d’Ohrid côté albanais
Vous en voulez encore ? Un nouveau coup de fourgon nous dépose non loin de Korçë, dans la petite ville de Pogradec, tranquillement installée sur la rive du plus vieux lac d’Europe. Nous ignorons comment les scientifiques le savent mais il est vrai que, sous le vent, nous l’avons trouvé plutôt ridé.
Si tout le monde s’accorde sur la limpidité parfaite de l’eau, Albanais et Macédoniens, qui habitent sur les rives opposées, s’en disputent le nom. Les uns l’appellent lac de Pogradec, les autres lac d’Ohrid, du nom de la ville macédonienne. Nous proposons de le baptiser Pohridgradec pour réconcilier tout le monde.
L’avantage, c’est que Pohridgradec se situe sept cents mètres au-dessus du niveau de la mer. Et puisqu’il paraît que la température s’incline d’un degré tous les cent cinquante mètres d’altitude, le fond de l’air serait, d’après nos calculs, 5°C plus frais que le long de la Riviera albanaise. En plein été, en Albanie, ce n’est pas pour nous déplaire.
Côté ambiance, nous redoutions une cité balnéaire au parfum de frime et de mojito fraise, nous voilà rassurés. Pogradec a conservé le goût des choses simples, quelques fissures aux coins des murs et de petites échoppes bien locales.
Sur le front de lac, d’ailleurs, les vacanciers albanais sont bien plus nombreux que les étrangers. Nous trouvons la promenade plantée très plaisante.
Des grands-parents achètent des glaces à leurs petits-enfants, quelques vendeurs de livres ou de pop-corn attendent le chaland à l’ombre des arbres, des pêcheurs démêlent leurs filets, des ados grimpent sur les pédalos ensablés pour pédaler dans le vide…
Étrangement, les centaines de transats et parasols peinent à trouver des clients et les baigneurs se comptent sur les doigts d’une main palmée. Nous ne l’expliquons pas. Soit personne n’aime se baigner, soit la véritable haute saison arrive en août.
Les bancs, en revanche, connaissent le plein emploi. Les anciens du coin s’y retrouvent dès le matin, puis reviennent une fois la ronflette de l’après-midi terminée. Avec des échecs ou des dominos sous le bras, bien entendu, sinon ce ne serait pas l’Albanie !
Toujours sur la promenade, nous faisons connaissance avec une spécialité locale appelée lakror. Il s’agit d’une sorte de pizza fourrée à plusieurs ingrédients, au choix (la recette tomate oignon est excellente). Comptez 500 leks pour une portion qui nourrirait presque quatre personnes.
Ayant lu récemment que la pratique du vélo rendait plus heureux que l’argent, nous nous séparons de quelques Leks pour louer deux beaux spécimens et filons un peu au hasard vers l’est et la frontière avec la Macédoine du Nord.
Notre balade commence en douceur, avec de petites scènes bucoliques le long de la paisible route…
Malheureusement, l’environnement devient de plus en plus sale. Cradingue. Malodorant. Le long cou de cygne qui pend d’une poubelle est la goutte d’eau qui fait déborder le lac, nous faisons demi-tour. Nous apprendrons ultérieurement qu’une poignée de kilomètres plus loin se trouve Drilon, un joli lac entouré d’un parc. Dommage.
En guise de consolation, un doux coucher de soleil mauve nous attend à Pogradec. Jugez plutôt.
À partir de 20h30, la rue adjacente à la plage se ferme aux voitures et, tandis que le lac s’efface dans l’obscurité, notre promenade préférée s’illumine, prenant des airs de fête foraine : les têtes de chérubins rayonnent à bord du petit train, les adolescents se poursuivent sur des Formule 1 sans patate, les gros costauds se défient sur des machines à boxe et les révolutionnaires s’entraînent à refaire le monde au chamboule-tout.
Un moment à ne pas rater à Pogradec !
Notre avis sur Pogradec
Pogradec n’a rien de glamour et rien de spécial non plus. Juste une petite ville près d’un beau lac et entourée de collines. En fait, elle illustre parfaitement l’Albanie, un peu foutraque, mais joyeuse et attachante !
S’il faut comparer, nous avons préféré Pogradec à Ohrid en Macédoine du Nord, de l’autre côté du lac. Ohrid est cent fois plus transformée pour les touristes, avec une ambiance radicalement différente.
Conseils pratiques pour visiter Pogradec
Transports entre Korçë et Pogradec
Les départs de fourgons sont très fréquents entre les deux villes, toutes les vingt minutes environ, de 7h à 11h. Ensuite, plus rien. Durée 1h, prix 150 leks.
Dormir à Pogradec
Nous avons été très satisfaits de la maison d’hôtes « Apartment Plaisir » qui, comme son nom l’indique, loue quelques appartements tout à fait plaisants. Le nôtre avait une immense terrasse privée avec vue sur le lac (~35€, détails et réservation ici)i.
Location de vélos
Nos hôtes proposaient deux vélos à la location pour 10€ la journée ou 5€ les 2-3 heures. Sinon, nous avons remarqué des loueurs qui disposent de plus d’engins pour adultes et enfants sur la promenade le long du lac. Nous ne connaissons pas leurs tarifs. Le parc de Drilon se situe à 5km environ sur une route calme.
Manger à Pogradec
Outre les lakror, à prendre à emporter au bord du lac, nous avons beaucoup aimé le restaurant The Change. Le menu n’est disponible qu’en albanais, mais le chef est sorti de sa cuisine avec un grand sourire pour nous traduire sa carte. La cuisine est fine et soignée, le caviar d’aubergine en particulier est excellent, tout comme le vin de la maison produit par le père.
Visiter le lac côté Macédoine du Nord
Nous avons également écrit un article à propos de la rive macédonienne du lac, à Ohrid. Non seulement les ruelles de ses vieux quartiers sont adorables, mais nous avons de bons conseils randonnée. Nous y abordons aussi le monastère millénaire de Saint-Naum tout proche de Pogradec. L’occasion de belles balades à la journée si vous logez à Pogradec et que vous êtes véhiculés. Lire l’article : Ohrid en Macédoine du Nord.
Bonus
Mais que font tous ces nounours accrochés aux maisons en Albanie ? Sont-ils punis pour avoir glissé une patte dans le pot de miel familial ?
Ils auraient en fait la lourde mission de repousser le « mauvais œil », éloigner la guerre et attirer la paix. Nous nous sommes longuement interrogés sans trouver de réponse, merci à Elsa pour l’explication !
Bonsoir ! Je vous sens moins enthousiastes pour l’Albanie que pour les autres destinations, non ? En tout cas pour m’attirer il suffit que vous citiez une ou deux spécialités culinaires locales et pfiout je m’anime !
Oh bah non, au contraire ! On a adoré l’Albanie, on a l’impression de saouler tout le monde depuis des mois en répétant que c’était notre meilleure découverte de l’année 2019. Après ça se joue surtout dans les petits détails et l’ambiance générale, plus que dans des lieux touristiques incontournables.
Ben zut alors, il faut plus forcer sur les éloges alors !
Ah dommage il fallait pousser le long du lac vers le nord. Plein d’endroits vraiment sympas dont le village de Lin. On y avait vu une scène intéressante d’ailleurs. La présence de personnes enturbannees ne parlant pas albanais mais plutôt arable, sans doute originaires du golf persique. Ils semblaient être là pour affaire avec la mosquée révélant ainsi la tentative de mettre la main sur ce petit pays. Sans succès selon les albanais qui nous expliquaient: » ils ne vont pas nous apprendre l’islam ces gens là 😉
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Drôle d’histoire ! On a lu qu’après la sortie de la dictature, les grandes et petites religions ont senti le potentiel et ont rappliqué. D’ailleurs un évangéliste américain (qui essayait vainement de nous convertir) nous a parlé de son église « baptiste » à Pogradec.
Sinon oui, on aurait aimé voir Lin, on pensait y retourner ensuite depuis Ohrid mais ça ne s’est pas fait.
Nous avons découvert l’Albanie en août 2013. e t nous en gardons un merveilleux souvenir.
En vous lisant et en regardant vos photos, je revois notre voyage . vous avez sans doute aussi découvert près de Pogradec, le village-modèle de Tushemisht qui servait de décor au tournage de films pendant la dictature d’Enver Hodja..
Bonne continuation!
Connaissant la progression du tourisme en Albanie, vous ne deviez pas être très nombreux en 2013 !
Nous ne sommes pas passés loin de Tushemisht, si on avait su on aurait poursuivi notre balade à vélo jusqu’au bout.
Merci pour ton message et bons voyages !
Bonsoir tous les 2,
Ca me fait toujours très envie!!!
Je ne pense pas malheureusement que ce sera cette année. Les pays tiennent toujours la corde auprès de mes hommes.
En tout super découverte. Un grand merci et une excellente continuation.
Au plaisir de vous lire.
Virginie
Salut Virginie,
Bon, ce sera peut-être pour l’année suivante alors !
Merci beaucoup 🙂
Bonjour, j’ai une question d’ordre pratique: Comment avez vous fait pour utiliser votre téléphone portable? Vous avez bénéficié d’une offre de votre opérateur ou vous avez acheté une puce sur place?
Bonjour Nielsou,
Nous avons acheté une puce 4G prépayée sur place, en débarquant du ferry. C’était très simple, l’affaire de 5 minutes, et environ 12€.
Bon voyage d’avance !
Pour Maître Gims, une piste d’explication: il a collaboré avec la superstar Dhurata Dora, une chanteuse albanaise de Kosovo, déjà en 2018 ou 2019 et tout dernièrement il y a à peine quelques jours est sorti leur « Only You », vous entendrez aussi le français sur son super morceau « Zëmer », la musique albanaise cartonne avec un nombre incroyable de hits à l’international.
Ah d’accord, merci pour l’info ! Zëmer était le gros hit lors de notre voyage en 2019, trop forte cette Dhurata Dora.
Bonjour,
Merci pour votre blog très utile et intéressant ! Pour la petite info, la Roumanie peut effectivement ressembler à cette maison jaune ! Les belles maisons colorées d’Oradea ou de Timisoara, la magnifique ville de Sibiu, les maisons bourgeoises de Bucarest ou de Sinaia… il y a le choix !
Bien à vous
Bonjour Manon,
Tu as l’air de bien connaître la Roumanie ! Ce pays nous attire, il va falloir qu’on aille y faire un tour prochainement 🙂
Bonne route !
Merci pour l’information sur les ours accrochés devant les maisons. Voici 10 jours que je me posais la question 😅🤣
Haha, le mystère des nounours est résolu ! Bonne suite de voyage si tu y es encore.
Je me suis replongé avec gourmandise dans mon voyage Albanais de 1995. Quel plaisir de vous lire. Concernant Korçe, j’ai souvenir et quelques photos des tombes des soldats français venus pour beaucoup des anciennes colonies. Les troupes françaises devaient y avoir combattues et pas seulement stationnées. Belle continuation
Ça a dû bien changer depuis 1995 ! Merci pour l’info sur les soldats français. À bientôt !