Sur l’autoroute 2×4 voies qui relie Le Caire à Alexandrie, notre chauffeur de bus est un brin nerveux. Il slalome à sarcophage ouvert, longeant le delta du Nil, cette immense mer de sable que les pharaons ont transformée en jardin grâce à une maîtrise pointue de l’irrigation et de l’engrais naturel de pigeon.
Si beaucoup de visiteurs traversent l’Égypte en sautillant de temple en pyramide, ce n’est pas ainsi que nous envisageons notre voyage. Nous avons très envie de faire également connaissance avec l’Égypte contemporaine, réputée intense et frénétique.
Intense et frénétique lui aussi, notre pilote écrase le frein devant une cafétéria, descend avaler une dose d’excitant, puis refonce plus caféiné que jamais pour imposer son parechoc dans la deuxième ville la plus embouteillée du pays. Alexandrie, nous voilà !
- Premières impressions et premières rencontres
- L’obscurité du phare d’Alexandrie
- La Corniche d’Alexandrie
- Le centre : pierres qui chutent, souk, église, cafés
- La bibliothèque d’Alexandrie, renée de ses cendres
- Antiquités et antiquaires d’Alexandrie
- Notre avis sur Alexandrie
- Conseils pratiques pour visiter Alexandrie
Alexandrie : premières impressions et premières rencontres
Un taxi et mille coups de klaxon plus tard, la première passante de notre nouveau quartier, tout sourire, nous lance un grand Welcome. Puis une fillette approche en nous questionnant What’s your name? Et enfin, la concierge de l’immeuble nous accueille comme de la famille.
Son immeuble, notre immeuble, a la particularité d’être l’un des plus hauts d’Alexandrie et le logement que nous avons déniché se situe au dix-neuvième et dernier étage. La vue est saisissante…
… mais nécessite de faire confiance à un ascenseur qui a bien vécu. Et sans porte. Heureusement, il est doté d’une sécurité infaillible : une prière s’élève dès qu’il se met en mouvement. Pour pimenter un peu notre séjour, le gouvernement procède à des coupures d’électricité ciblées quartier par quartier. L’info n’est pas tombée dans l’oreille de deux sourds, nous composons notre programme pour ne surtout pas avoir à grimper les étages à pied et dans le noir !
En bas, notre visite du quartier se transforme presque en tournée d’accueil, avec des welcome par-ci et des coucous par-là.
Nous avions lu que les Égyptiens étaient lourds et insistants, au point de presque nous refroidir à visiter le pays. Nous sommes très agréablement surpris de croiser des habitants légers et accueillants, prompts à l’échange et à la blague. Nos petits doigts nous disent que les critiques viennent de touristes qui se sont à peine éloignés des principaux monuments, puisqu’il suffit de quelques pas de côté pour changer d’avis.
Dans l’autre sens, nous redoutions d’être mal vus en tant que Français dans le contexte particulier de la guerre de Gaza. C’est un peu vrai. Plusieurs tiennent à souligner qu’ils désapprouvent la position de Macron, mais nous souhaitent la bienvenue quand même. Ouf ! Merci à Mbappé de remonter un peu notre popularité à l’international.
Parmi nos rencontres, il y a Youssef, épicier dans une ruelle sablonneuse qui passe son temps à épousseter la marchandise. Il ne parle pas anglais, seulement le dialecte alexandrin (toutes ses phrases font douze syllabes), mais tient absolument (grâce à une appli de traduction) à nous présenter sa collection de pigeons, de toutes formes et de toutes couleurs.
Les surprises s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Nous découvrons que de mignons très vieux tramways jaunes, mais aussi des chevaux font partie intégrante du trafic, et pas seulement pour distraire les touristes.
Tout aussi anachronique est le nombre de vieilles Lada. Certes elles sont réputées increvables, mais à ce niveau, cela relève de la magie mécanicienne.
Il y a même quelques tuktuks aux couleurs indiennes. Déjà que l’ambiance nous rappelait un peu nos voyages en Inde, nous sommes maintenant à deux doigts de confondre !
La lumière L’obscurité du phare d’Alexandrie
Nous nous dirigeons vers la mer pour admirer le monument le plus connu d’Alexandrie et nous frottons les yeux…
Après mille années de bons et loyaux services, la septième merveille du monde aurait dispersé une partie de ses pierres au fond du port, tandis que l’autre fut recyclée pour former la jolie petite citadelle de Qaitbay.
La visite n’apprend pas grand-chose, mais le donjon nous plaît, avec quelques vues à travers les fenêtres et meurtrières (3€, CB uniquement).
La Corniche d’Alexandrie
La Corniche a beau être l’une des artères les plus agitées d’Alexandrie, c’est aussi une immense promenade de quinze kilomètres de trottoir en bord de mer.
Chaque fin d’après-midi, lorsque le soleil s’assagit, elle redevient le lieu préféré des Alexandrins, et le nôtre aussi. Couples, groupes d’amis et familles s’assoient, se promènent, ou rêvent au loin, un café, une barbe à papa ou une glace à la main.
Nous cornichons nous-mêmes à plusieurs reprises, surpris chaque fois par l’alignement de vieux hôtels, bien trop grands, chics et nombreux pour la clientèle.
Ils sont les vestiges d’une époque un peu folle, lorsqu’Alexandrie était un lieu de villégiature et de fête pour la haute société européenne. La langue française, alors très appréciée, s’échappait des salons et se faufilait dans les rues, d’où le nom de la Corniche, ou encore de la célèbre pâtisserie Délices, fréquentée par les gourmands depuis 1922.
Le centre d’Alexandrie : pierres qui chutent, souk, église, cafés
Cette période dorée prit fin subitement avec la crise du Canal de Suez en 1956. Tous les étrangers furent priés de déguerpir d’Égypte, Demis Roussos et Claude François compris. Les architectures extravagantes sont restées sur place, mais manquent clairement d’entretien, conférant à la ville une ambiance désuète.
Un lieu emblématique à ce sujet est une galerie commerçante très abîmée au nom italien, Monferrato, que nous hésitons à recommander. Sombre, presque repoussante, elle débouche sur une impressionnante verrière qui abrite un vieux café.
Ou plutôt abritait, au passé. Le verre s’est volatilisé et, lors de notre passage, un bout de mur se fracasse sur une tôle protégeant les clients. Explorer des pyramides de 4500 ans est moins risqué !
Un marché de vêtements s’est installé sous les palmiers de la longue place Al-Manshiya attenante. Dans les ruelles adjacentes, d’autres souks prennent le relais, notamment celui des papeteries.
Nous enchaînons avec des rues toujours plus commerçantes, véritable raison d’être de l’archi centre d’Alexandrie. Les touristes doivent être moins rares par ici, car le nombre de W/km (Welcome par kilomètre) est en recul par rapport au quartier où nous logeons. Sortir l’appareil photo peut cependant provoquer l’intérêt, avec comme en Inde des habitants qui réclament leurs portraits sans chercher à les récupérer !
Nous nous amusons à chasser les noms d’enseignes français, en particulier les mots qui n’auraient pas le même succès chez nous. Et il y en a beaucoup !
Mais le plus déstabilisant, c’est la circulation ininterrompue d’Alexandrie et la quasi-absence de passages piétons. Les Égyptiens traversent sans réfléchir et certes, les véhicules en profitent pour dépoussiérer leurs flancs, mais… ça passe. Notre seule chance est d’attendre que d’autres piétons nous rejoignent et de les coller aux basques.
L’histoire récente du quartier se retrouve dans le nombre de mosquées, supplantées ici par des églises, dont nous ne savons pas trop reconnaître l’orientation grecque, copte, catholique ou autre. Peu se visitent, étroitement surveillées par la police.
Quant à passer une tête dans les synagogues, n’y songez même pas, elles sont entourées d’un large périmètre de sécurité et de blindés de l’armée. Nous nous sommes même fait gronder pour une photo dans une rue qui en abrite.
La bibliothèque d’Alexandrie, renée de ses cendres
Encore sous le choc du phare disparu, nous mettons le cap vers le deuxième monument qui a fait la renommée antique de la ville d’Alexandrie : la Grande Bibliothèque.
Le transport le moins coûteux est l’armada de mini vans qui arpentent la Corniche. Comme ils n’ont aucune indication de destination, nous galérons à trouver le bon. Ce n’est qu’une fois à l’intérieur que nous découvrons les règles. Notre chauffeur ralentit devant chaque personne sur le bord de la route et lève cinq doigts. Le passant répond avec un certain nombre de doigts et si ça colle, la machine freine complètement. Un système particulièrement efficace… pour filer le mal de mer !
À l’emplacement du mythique temple du savoir, nous tombons sur… une structure archi moderne, maquillée sous quelques graffitis antiques.
Décidément, nous arrivons deux millénaires trop tard. La remplaçante, inaugurée en 2003, est tout de même impressionnante par ses dimensions et par le nombre de livres qu’elle a reçus du monde entier. Nous entrons (5€, billet coupe-file icii) et suivons une visite guidée en français (toutes les 45 minutes, sans supplément).
Dans la grande salle, une armée d’étudiants révise les examens qui approchent, entre des présentoirs qui ajoutent une petite dimension musée. Au sous-sol, s’invitent des expositions intéressantes, dont certaines gratuites. Mention spéciale pour les dessins préparatoires du film La Momie de 1969.
Pour 60 Livres de plus (comme s’il n’y avait pas assez de livres ici), nous visitons le musée des manuscrits, manquant hélas d’explications.
Antiquités et antiquaires d’Alexandrie
Le phare a disparu, la bibliothèque s’est volatilisée… Mais alors, que reste-t-il de la cité fondée par Alexandre le Grand, de la capitale des Ptolémées, de la ville aux 4000 palais et 400 théâtres que les Arabes écrivent avoir conquise en 642 ? Eh bien c’est à coups de bulldozers que les archéologues la redécouvrent petit à petit.
Par exemple, sous cette jolie placette ont été retrouvés les restes du Césaréum, temple construit par Cléopâtre VII (n’en déplaise à Cloclo, il y a bien eu sept reines du port d’Alexandrie) en l’honneur de son romain préféré :
Citons aussi les catacombes de Kom El Shoqafa, redécouvertes par la chute d’un âne dans un puits en 1900. Et puis le gigantesque temple Sérapéum, dédié à une divinité gréco-égyptienne, dont on a retrouvé les fondations et une unique colonne dressée au milieu. Nous n’avons pas visité ces deux sites.
Nous passons en revanche au théâtre romain. Lui fut retrouvé sous trois couches de cimetière plus un fort. La visite (2€) n’est pas passionnante, mais si vous la tentez, n’oubliez pas d’admirer les superbes mosaïques de la villa aux oiseaux.
De là, nous remontons la sympathique rue Al Naby Danyal, connue pour ses revendeurs de livres, et déboulons dans le quartier des antiquaires, agréable à parcourir à pied et bien fourni, comme on peut l’imaginer dans une ville au riche passé.
Notre avis sur Alexandrie
Vous l’aurez compris, il ne faut pas espérer trouver ici la même profusion de monuments qu’ailleurs en Égypte. Néanmoins, nous gardons un excellent souvenir de notre visite d’Alexandrie grâce à l’incroyable accueil des habitants. Déjà bien sociables de base, les Égyptiens le sont à un niveau encore plus élevé dans une grande ville peu touristique. C’était une bonne mise en jambe pour nous familiariser avec la culture égyptienne, la gastronomie, l’animation et le trafic avant de débarquer au Caire, plus difficile à apprivoiser. Enfin, Alexandrie a l’avantage d’être plus fraîche et humide que le reste du pays, si jamais vous fuyez une canicule.
Conseils pratiques pour visiter Alexandrie
Se loger à Alexandrie
Notre appartement au 19ème étage est réservable par ici (~75€)i ou par là pour le jumeau si le premier est pris. Le tarif est un peu élevé pour le pays, mais comme la ville est moins touristique que d’autres, les bons plans y sont limités. Au moins, à ce tarif, tout était génial : un appart grand, très propre, bien situé et doté d’un superbe balcon pour profiter de la vue et pour petit-déjeuner les mangues achetées dans le quartier. Il faut juste ne pas être trop sensible au bruit, entre la circulation, les appels à la prière et une petite fête foraine située au pied de l’immeuble.
Venir à Alexandrie depuis Le Caire
Il existe un train, mais réputé vite complet et souvent en panne. Nous avons opté pour le bus, qui met 3h pour environ 4€. Les départs fréquents sont hélas répartis entre plusieurs compagnies et gares routières éparpillées dans l’immensité du Caire, une vraie galère à déchiffrer. Le plus simple que nous ayons trouvé consiste à rechercher et payer ses billets sur 12Goi, car même s’ils ne référencent qu’une compagnie, ils laissent chercher toutes les gares d’un coup.
Se déplacer dans Alexandrie
Hormis les traversées un peu périlleuses, le centre-ville peut se parcourir à pied, avec de temps en temps un coup de bus pour les longues distances. Les gros bus coûtent 5L, à régler à l’assistant caissier, les mini vans encore moins, à régler en passant l’argent au chauffeur de main en main. Nous n’avons pris des taxis que pour aller et venir de la gare routière. Quel que soit le moyen de transport, avoir l’adresse de votre destination écrite en arabe peut aider. Et comptez large pour ne pas stresser dans les embouteillages.
La sécurité à Alexandrie
La ville est souvent sale et un peu sombre la nuit, ce qui peut laisser l’imagination craindre de mauvaises rencontres. Cependant, l’Égypte est globalement un pays très sûr et il y a peu de risques qu’il vous arrive quelque chose. En revanche, de petites arnaques ne sont pas à exclure. Nous pensons par exemple à un homme ultra-sympathique, croisé sur la Corniche, qui insistait louchement pour nous présenter ses « bonnes adresses ».
Manger à Alexandrie
- Restaurant Mabrooka : un excellent petit établissement, simple, propre et bon, tenu par deux femmes accueillantes. Des spécialités égyptiennes sont servies sur des tables basses en pleine rue, avec pas mal de choix végétariens.
- Près du théâtre romain, nous avons aimé dîner au Teatro Eskendria. Entre les shishas, dans une ruelle transformée en terrasse, la nourriture est délicieuse. Nous recommandons notamment la musska tajine, à mi-chemin entre moussaka et tajine.
- Juste à côté de la citadelle, Sidra est un restaurant qui joue de son emplacement avec des prix un peu plus élevés qu’ailleurs, mais de bons plats de style moyen-orientaux et quelques exceptions italiennes. Évitez l’intérieur fumeur, réservez tôt pour demander l’une des tables en terrasse avec vue sur la baie.
Free Walking Tour
Nous avions très envie de suivre ce tour guidé en anglais, bien noté. Hélas la guide prenait des vacances. Rasha a quand même très sympathiquement pris le temps de nous envoyer des conseils à distance.
Merci pour ton récit, cela m’a permis de voyager le temps d’une pause café.
De l’Egypte on ne connait que les temples et pyramides, c’est bien d’avoir un autre aperçu du pays. Quel contraste! Je ne m’attendais pas qu’il y ai autant de boutiques avec des noms français.
Merci pour ton message ! Nous non plus on ne s’attendait pas à autant d’influences de France et d’ailleurs, c’est souvent le cas des villes ouvertes sur la mer !
J’adooore vos récits plein d’humour et je vous suis à la trace.
J’aime beaucoup voyager et me perdre… et vous m’emmenez aussi dans vos voyages, tendres, tolérants, drôles et différents (en tout cas pas ennuyeux) À bientôt vers de nouveaux ailleurs
Oh c’est trop gentil, merci !
Heureusement que je vous ai pour me faire voyager! C’était super! j’y étais. J’ai même reconnu le pigeon dessiné par la moitié dessinante…
Haha merci !